samedi 6 décembre 2008

FUTURISME : GÉNÉRALITÉS

Luigi RUSSOLO, Carlo CARRÀ, F. T. MARINETTI, Umberto BOCCIONI, Gino SEVERINI


FUTURISME


En France, le futurisme italien a souvent fait l’objet d’un intérêt condescendant. Or rien ne peut légitimement fonder cette attitude : l’intensité plastique des œuvres, l’ampleur et la nouveauté des attendus théoriques, la contribution majeure du mouvement à l’essor des avant-gardes apparaissent indiscutables.


Dans leur perpétuel souci d’innovation, les futuristes ne songèrent rien moins qu’à plaire, utilisant de façon retentissante les ressources de la provocation, du scandale, voire de la violence. Ils se firent les chantres intolérants d’une modernité agressive symbolisée par la machine et par des valeurs plus abstraites liées au mouvement et au dynamisme. Aucun domaine des arts plastiques ne leur fut indifférent; mieux, ils en questionnèrent les limites et étendirent leur pratique à l’écriture, à la musique, au théâtre, au décor.


L’épopée futuriste


La préhistoire du mouvement débute à Rome en 1901 ; Umberto Boccioni et Gino Severini deviennent les élèves du peintre Giacomo Balla, qui les initie au divisionnisme. En 1906, tandis que Severini s’installe à Paris, Boccioni entame un large périple européen qui s’achève l’année suivante à Milan. Là se noueront bientôt d’autres amitiés picturales : avec Carlo Carrà, puis Luigi Russolo, Romolo Romani et Aroldo Bonzagni. Cette même année 1909 se produit encore la rencontre décisive avec Marinetti, le remuant directeur de Poesia , dont Le Figaro a publié le 22 février précédent le manifeste fondateur.


La communication


Le 11 février 1910 paraît sous forme de tract publié par Poesia la proclamation : Agli artisti giovani d’Italia (connu comme Manifeste des peintres futuristes). Marinettien dans sa forme agressive, le texte est cosigné par les "Milanais" Boccioni, Carrà, Russulo et s’adjoint les noms de Severini puis de Balla. Suit, le 11 avril, La Peinture futuriste (dit Manifeste technique) qui précise les options thématiques et esthétiques du groupe. Plusieurs dizaines de manifestes artistiques se succéderont jusqu’à la fin de la guerre : sur la sculpture (Boccioni, 1912 et 1913), l’architecture (Sant’Elia, 1914), la photographie (Bragaglia, 1911), le cinéma (Balla, Corra, Chiti, Ginna, Marinetti, Settimelli, 1912), la musique (Pratella, 1911) et le bruitisme (Russolo, 1913), la danse (Valentine de Saint-Point, 1914)... Il n’y a guère de thèmes de la vie sociale, politique et morale, littéraire, artistique ou scientifique qui ne soient abordés dans la perspective futuriste.


Les futuristes ne manquent aucune occasion de s’exprimer au cours de soirées organisées dans les capitales italiennes. Ils lisent textes et manifestes, se délectent de "la volupté d’être sifflés" et y échangent "presque autant de coups de poing que d’idées" (celui de Boccioni, qui "fait merveille", se verra célébré dans une sculpture de Balla). Ils possèdent néanmoins l’art de communiquer et, se servant abondamment de la presse qui ne saurait les ignorer, se répandent dans toute l’Europe en interviews, déclarations et conférences. Si Poesia, devenu en 1909 "organe du futurisme", disparaît dès la fin de l’année, les éditions qui lui survivent diffusent largement tracts et brochures. Un peu plus tard, Lacerba — fondé à Florence en 1913 par Giovanni Papini et le peintre écrivain Ardengo Soffici — deviendra rapidement un lieu d’expression et de polémique pour le mouvement, mais également le support d’expériences graphiques telles les parolibere ("mots en liberté").


Les expositions


Les expositions du groupe répondent à sa volonté de communication publicitaire et tapageuse. Si en 1911 à Milan on lacère La Risata de Boccioni, l’accueil du milieu international semble plus favorable. Partant en 1912 de la galerie parisienne Bernheim-Jeune, la première grande exposition futuriste va sillonner l’Europe et traversera même l’Atlantique pour être présentée à Chicago. La Préface au catalogue, Les Exposants au public, répand et développe la théorie futuriste dont elle marque nettement la spécificité, notamment à l’égard du cubisme. En 1913, le groupe participe encore à l’exposition des avant-gardes qu’organise Der Sturm à Berlin.


La guerre et la fin d’une aventure


L’hétérogénéité du mouvement et son élargissement à de nouvelles personnalités (les peintres Enrico Prampolini, Fortunato Depero, Ottone Rosai et le photographe Anton Giulio Bragaglia) exacerbent les tensions. Tantôt la capacité manœuvrière de Marinetti, tantôt son autoritarisme réussissent à réduire les conflits. Mais finalement des sécessions interviennent : dès 1914, celle du poète Aldo Palazzeschi ; puis, l’année suivante, le texte Futurisme et marinettisme marque celle des Florentins de Lacerba et prive le reste du mouvement de sa tribune.


À ce moment crucial, les futuristes se livrent à la propagande belliciste et interventionniste. "La guerre, seule hygiène du monde", qu’ils avaient réclamée à cor et à cri, fournit à présent la thématique récurrente. L’engagement idéologique ne suffit pas. Boccioni, Sant’Elia, Marinetti et Russolo, entre autres, s’enrôlent : les deux premiers sont tués dès 1916.


Avec la guerre, une page est définitivement tournée : Carrà se consacre à la "peinture métaphysique", Russolo aux recherches musicales, tandis que Severini évolue vers le classicisme. Seul parmi les fondateurs, Balla s’attache à développer (avec son disciple Depero) les principes du mouvement dans une voie personnelle non figurative. Avec les animateurs que sont Gerardo Dottori, Fillia et Prampolini se profile, dans les années 1920, l’image d’un "second futurisme", post-dadaïste. Une fois encore, en 1929, Marinetti rassemblera ces énergies pour un nouveau manifeste, L’Aéropeinture futuriste . Mais l’élan révolutionnaire du mouvement initial apparaît désormais brisé et son inlassable animateur largement engagé dans la compromission fasciste.


Les principes théoriques et techniques


Les manifestes picturaux de l’année 1910 constituent des préalables à la pratique plastique futuriste, même s’ils s’inspirent de principes plus ou moins explicites de l’œuvre antérieure des signataires. Ils vont induire des audaces formelles inédites et donner au mouvement l’impulsion vigoureuse qui l’impose d’emblée sur la scène internationale.


Le rejet du passéisme


À l’image du prototype marinettien dont ils relaient certains des thèmes, ces manifestes englobent dans la même exécration du passé tout à la fois les hommes, les institutions, les modèles, les pratiques.Les futuristes fustigent les professeurs "ignorants", les archéologues "nécrophiles", les critiques "vendus", les peintres "impuissants", les architectes "affairistes", et n’épargnent pas davantage le public, "canaille inconsciente" qui applaudit. Ils dénoncent les académies "podagres", l’atmosphère "pourrissante" des musées — cimetières promis à la pioche ou au feu — et l’ignorance des officiels. Reniant en bloc l’image référentielle de l’Italie artistique, "patrie de cadavres, immense Pompéi de sépulcres blanchis", ils vilipendent les grands centres historiques, particulièrement Venise, ville-fossile, stigmatisée dans plusieurs manifestes (Tuons le clair de lune et Contre Venise passéiste).


Quant aux modèles, ils subissent une véritable hécatombe. Paradigme de l’art du passé, La Joconde, avant de devenir tête de massacre pour Dada et le surréalisme, reçoit un douteux hommage : "des fleurs, une fois par an, à ses pieds". La peinture sombre se voit condamnée pour contrefaçon. Seuls Rembrandt, Goya et Rodin, suspects de mauvais goût, semblent pour cela même trouver grâce. Mais les cibles existent chez les modernes. Le synthétisme (sans nommer explicitement Gauguin), taxé de "puéril et grotesque" ; l’Art nouveau sécessionniste rejeté d’autant plus violemment qu’il investissait encore naguère le vocabulaire formel et symbolique de Boccioni et de Carrà ; les Indépendants, enfin, "faux aveniristes" eux aussi, mais auxquels tous doivent leur technique de prédilection : le divisionnisme.


Le culte de la vitesse


Si le Manifeste du futurisme désignait la machine comme symbole par excellence de modernité, il mythifiait les engins de transport rapide: train, bateau et surtout automobile. Pour leur part, les manifestes picturaux préfèrent évoquer le mouvement et son concept, la vitesse. Immergé dans cette dimension, l’homme trouve un accord avec le "dynamisme universel", car "tout bouge, tout court, tout se transforme rapidement". À partir de cela, on peut analyser deux sortes d’images contiguës. Les unes de type rétinien, dues à la persistance des images : "un cheval au galop n’a pas quatre pattes, mais vingt" (Le Cavalier rouge, Carrà, 1912). D’autres, plus abstraites, liées à l’expérience bergsonienne de la durée, intègrent des images fragmentaires inscrites plus ou moins profondément dans le souvenir ; elles assumeront un rôle essentiel dans le procès évolutif du futurisme.


La thématique


Contrairement aux tendances modernes, le futurisme ne relègue pas le sujet au second plan. Son lien essentiel au monde physique comme son engagement social et politique réhabilitent l’iconographie.Certains des thèmes, présents dès l’origine, célèbrent le monde urbain (Périphérie, Boccioni, 1909) et le noctambulisme (Nocturne place Beccaria, Carrà, 1910); d’autres apparaîtront sous la pression des événements politiques (Drapeaux à l’autel de la patrie, Balla, 1915) ou guerriers (Train blindé, Severini, 1915). Les manifestes suscitent rapidement des intérêts nouveaux. L’automobile donne naissance chez Balla et Boccioni à des séries ; mais rien de ce qui paraît propice à l’évocation de la vitesse — train, fiacre, tram, cheval, l’homme lui-même — n’est abandonné. La fureur des émeutes (Les Funérailles de l’anarchiste Galli, Carrà, 1911) ou plus prosaïquement des échauffourées (Rixe dans la galerie, Boccioni, 1910) permet de conjuguer violence et mouvement. Par des équivalences plastiques, les futuristes transfèrent dans l’ordre du visible aussi bien les données psychologiques (États d’âme, Boccioni, 1911) que les stimuli les plus divers (La Musique, Russolo, 1911). Que le mépris de la femme soit proclamé n’empêche nullement Boccioni de prendre pour modèles mère et sœur, ni Severini de préférer les danseuses ; seule la "foire aux jambons pourris" du nu demeure prohibée. Lorsque la tendance à l’abstraction s’affirmera, notamment chez Balla, le sujet n’en restera pas moins explicité par le choc du titre.


L’image futuriste


Signe d’avant-gardisme en Europe, le divisionnisme s’inscrit comme condition sine qua non dans les manifestes, sous le nom de complémentarisme. Sans doute ne s’agit-il pas d’ordonner avec mesure la surface selon le système de Seurat, mais d’accentuer le chromatisme incendiaire des couleurs pures et de mettre à bas la rationalité constructive du dessin.


Cependant, ce "complémentarisme congénital" ne se réduit pas à un choix de palette, si fondamental soit-il. La formule, révélatrice, condense encore la conception paradigmatique de l’objet futuriste qui convoque dans la surface tous les éléments auxquels le lie une relation spatio-temporelle ou affective. Ces liens s’incarnent en des lignes-forces relationnelles qui englobent au surplus le spectateur, "placé désormais au centre du tableau". Ainsi se définit encore un complémentarisme d’objet, simultanéisme bien différent du concept cubiste homonyme.


La photographie (et précocement le cinéma) préoccupe les futuristes d’un double point de vue. Elle possède son praticien, Anton Giulio Bragaglia, inventeur des photodynamismes (La Gifle, 1913). De plus, comme technique annexe, elle fournit pour la représentation du mouvement les premières solutions de caractère analogique, dérivées des recherches chronophotographiques de E.-J. Marrey et de E. Muybridge ; Fillette courant sur le balcon (1912) de Balla réalise certainement le prototype du genre.


À l’exemple des cubistes, les futuristes précipitent la fin de l’homogénéité de la surface peinte. Rompus à l’usage de la typographie — l’expérience des tracts y est pour quelque chose —, ils intègrent précocement les mots à l’image; d’abord en tant qu’éléments caractéristiques de l’environnement urbain (Nord-Sud, Severini, 1912), puis nantis de leur sémantique autonome. La pratique se fond alors avec celle des papiers collés qui insistent sur le message verbal dominé par slogans, cris et onomatopées (Manifestation interventionniste, Carrà, 1914). Avec la série des Parole in libertà, Marinetti accomplit, en sens inverse, le chemin qui relie écriture et peinture.


Les "allègres incendiaires"


La solidarité de groupe ne doit pas masquer les individualismes ni la diversité des démarches, partant les discordances. Chacun veille jalousement à la défense de ses découvertes plastiques, notamment à l’égard de l’extérieur. Ainsi, en 1913, Boccioni ouvre les hostilités contre le cubisme et son héraut Guillaume Apollinaire avec une vigoureuse diatribe anti-orphique, Les Futuristes plagiés en France.


Umberto Boccioni (1882-1916)


Le rôle central de Boccioni dans la genèse du mouvement et de ses postulats théoriques ne fait guère de doute. Il élabore deux notions de base: le simultanéisme comme "synthèse de ce dont on se souvient et de ce que l’on voit" et le dynamisme comme "force intérieure" de l’objet (Les Exposants au public).


Son œuvre plastique tire son origine de thèmes hérités du symbolisme (La Signora Massimino, 1908) ou inspirés par la société industrielle et urbaine présente jusque dans l’Autoportrait de 1908. Deux œuvres clés, encore liées à ces préoccupations, marquent son passage au futurisme ; La ville monte (1910-1911) et la série des États d’âme (1911) intègrent de façon inédite le dynamisme à un espace déstabilisé par des compénétrations spatiales (Ines, 1911). Puis la pratique de la sculpture (Tête + maison + lumière, 1911-1912) ramène Boccioni à une conception plus nucléaire de l’objet, sensible dans la série des Dynamisme de 1913. Ce va-et-vient moteur entre les deux ordres plastiques fournit des exemples achevés de la maturité du futurisme, comme Formes uniques de la continuité dans l’espace (1913) ou Construction spiralique (1914). Boccioni disparaît en pleine activité créatrice au moment où ses recherches donnent la priorité à une intensification radicale des rapports colorés (Portrait de Busoni, 1916).


Gino Severini (1883-1966)


Installé à Montmartre, Severini peint la Ville Lumière dans un style néo-impressionniste aéré et serein. Il sert de relais entre le groupe milanais et les peintres ou écrivains de l’avant-garde parisienne, préparant notamment l’exposition chez Bernheim. Dès l’origine (La Danse du pan pan au Monico, 1911), sa manière s’imprègne fortement de cubisme ; elle en demeurera assez proche par le découpage de l’objet — réagencé toutefois de façon dynamique — par l’introduction des mots dans l’image et la technique du collage. Severini précise ses options particulières dans Les Analogies plastiques du dynamisme (1913-1914): une forme donnée en convoque d’autres par affinités ou contrastes simultanés. De là des équivalences qui s’expriment dans l’algèbre de titres tel Ballerine + mer = bouquet de fleurs (1913). Les inclusions de matières (paillettes, feuilles métalliques...) concourent à l’"intensification réaliste" avec les parolibere et les onomatopées et, anticipant sur les expériences polymatière de Prampolini, profilent "la fin du tableau et de la statue" annoncée par Severini.


Carlo Carrà (1882-1966)


Il revient à Carlo Carrà d’avoir peint l’une des œuvres incarnant le plus totalement l’idéal originel du futurisme. Les Funérailles de l’anarchiste Galli (1911) évoque sans ambiguïté le manifeste de Marinetti qui chantait "le geste destructeur de l’anarchiste" et l’engagement du peintre. Très rapidement, l’œuvre de Carrà révèle une synthèse originale avec les schèmes cubistes (La Galerie de Milan, 1912) et ses techniques (papiers collés de 1914). Il en développe les principes dans un manifeste personnel, La Peinture des sons, des bruits, des odeurs (1913), qui définit les notions d’équivalence et de complémentarisme plastiques. D’autres textes théoriques suivront, publiés par Lacerba ; ils révèlent ses divergences avec Boccioni et marquent son détachement du "marinettisme". Dès 1915, l’intérêt de Carrà pour les grands modèles du passé (de Giotto à Piero della Francesca) l’oriente dans la recherche de "formes concrètes" et son Antigracieux (1916) prélude, avant même sa rencontre avec De Chirico, à son passage à la peinture métaphysique.


Luigi Russolo (1885-1947)


Au carrefour des préoccupations multiples du groupe, les tableaux de Russolo se singularisent par l’organisation très réglée de leur surface. La couleur saturée, scandée par de grands rythmes où dominent les primaires, s’articule clairement en des schèmes empruntés aux sciences physiques et donnés comme équivalents plastiques du dynamisme (La Révolte, 1911).En 1913, Russolo publie L’Art des bruits. Il y préconise une révolution radicale qui étend le domaine artistique aux sons les plus divers de la nature et du machinisme. Outre un nouveau système de notation musicale, il conçoit pour ses compositions les réseaux de bruits , divers instruments insolites, les intonarumori (glouglouteurs, gargouilleurs, hululateurs, etc.). Les intuitions de Russolo trouvent leur écho dans la création contemporaine, de Satie à Varese, et particulièrement dans la musique concrète.


Giacomo Balla (1871-1958)


À l’écart des Milanais, Balla donne d’abord une version rétinienne très marquée du futurisme. C’est le temps du cocasse Dynamisme d’un chien en laisse et de La Main du violoniste (1912). Mais, en 1913, les Compénétrations iridescentes orientent ses recherches dans une voie abstraite, substituant la figuration de la vitesse à celle du mouvement. La plasticité de la forme s’accentue dans des synthèses comme Automobile + vitesse + lumière, jusqu’à atteindre une sorte de dynamisme cosmique dans Le Passage de Mercure vu au télescope (1914) qui évoque les préoccupations de Robert Delaunay.


Après la disparition de Boccioni, Balla devient la figure centrale du mouvement plastique et signe avec Depero le manifeste Reconstruction futuriste de l’univers. Outre les compositions picturales désormais abstraites (Forme du cri "Vive l’Italie", 1915) et ses complexes plastiques intégrant diverses matières colorées, il s’intéresse encore au costume, à la décoration et au mobilier.


Antonio Sant’Elia (1888-1916)


Issu du groupe avant-gardiste Nuove Tendenze, Antonio Sant’Elia adhère au mouvement en 1914 et publie le Manifeste de l’architecture futuriste. Sa pensée architecturale n’a pu s’exprimer que dans les projets conçus pour la Città nuova, vision "aveniriste" de métropole géante. Les pièces maîtresses — immeubles à gradins, complexes de communication terrestre et aérienne — dérivent de la centrale électrique, symbole d’une Italie industrielle et novatrice. Tout proche, Mario Chiattone (1891-1957) n’appartient pas effectivement au groupe ; ses projets utilisent des schèmes comparables où résonne parfois l’écho formel du sécessionnisme viennois.


Rayonnement du futurisme


Viscéralement nationaliste, le mouvement ne se cantonne pourtant pas en Italie. À son exemple, des tendances comparables apparaissent un peu partout dans le monde : formisme ou zonisme polonais, vibrationisme espagnol, vorticisme anglais, stridentisme mexicain... Nombre de plasticiens réagissent plus ou moins durablement : Delaunay, Duchamp et Picabia en France, August Macke et Franz Marc en Allemagne, Frank Kupka en Tchécoslovaquie. Il touche encore la Belgique et l’Europe centrale, mais aussi les États-Unis, l’Amérique latine et même le Japon.


Seul le futurisme russe peut se comparer à son homologue italien. Il possède en Vladimir Maïakovski un inlassable animateur, publie des manifestes (Une gifle au goût du public, 1912) et compte des artistes de premier plan comme David Bourliouk (1882-1967), ou les fondateurs du rayonnisme (1913), Natalia Gontcharova (1883-1962) et Mikhail Larionov (1881-1964). Issus de cette tendance, Vladimir Tatline (1885-1953) et Casimir Malevitch (1878-1935) en développeront les attendus vers la non-figuration radicale du constructivisme et du suprématisme.


Ainsi le futurisme érigea, non sans tumulte, le modernisme en dogme intransigeant, réussissant à briser l’enclavement de l’art italien. Aux côtés du cubisme, son contemporain et rival, il peut revendiquer un rôle moteur essentiel dans la naissance et la diffusion de l’avant-gardisme. Par son refus radical de toute norme, il annonce très directement le dadaïsme et, par sa transgression des limites, il se fait déjà art conceptuel et comportemental.

Claude FRONTISI. « Futurisme », Encyclopaedia Universalis.

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